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2017 - 2019

Ça fait maintenant une semaine que tu es parti. On pleure encore tous les jours, mais on recommence à manger et dormir plus ou moins normalement. Je peux maintenant leur raconter notre histoire.

Juillet 2018. Toi, le chat de refuge. Tu étais entré dans notre vie un peu comme un poil sur la soupe, sans prévenir, en défonçant la porte 😋 Un abandon de déménagement. Tu nous avais choisis. Je ne voulais pas de nouveau chat au départ, ayant déjà beaucoup d’autres animaux à la maison. Mais à la boutique qui t’hébergeait en attendant de trouver ta nouvelle famille, tu nous as suivis partout. Tu as même osé te coucher sur mes emplettes pour m’empêcher de partir. Tu voulais que je te gratte le menton. Tu nous a léché les doigts. Tu es même allé jusqu’à approcher le crayon de ma main quand la vendeuse m’a proposé le formulaire d’adoption du refuge. Tu nous fixais dans les yeux. Il faut dire que quand tu avais une idée dans la tête toi, tu ne l’avais pas ailleurs. On nous a dit que tu ne te laissais pas approcher par tout le monde. Mais nous, ç’a l’air qu’on te plaisait. Toi, le drôle de grand chat roux et blanc sorti de nulle part.

Le lendemain, ma fille de 14 ans est venue te voir et ce fut le coup de foudre. Elle a proposé de payer une partie de tes frais d’adoption et de s’impliquer dans tes soins. J’étais perplexe. Mon cheptel de chats se compose en grande partie de femelles scottish fold et british shorthair à la retraite d’un certain âge. Je lui ai rappelé que ce petit nouveau d’à peine un an et demi, c’était encore un bébé qui n’allait peut-être pas s’entendre avec les plus vieux et surtout un engagement pour 15 à 20 ans. Ça ne l’a pas découragée. Elle a promis de t’emmener avec elle quand elle partirait en appartement. Un conseil de famille s’imposait. Nous sommes partis en vacances. Nous avons longtemps réfléchi. À notre retour, nous avons envoyé notre candidature et quelques jours plus tard, tu faisais ton entrée chez nous. Il faut dire que tu devais partir vite car tu avais percé quelque chose comme 20 sacs de bouffe à la boutique 😋 Toi, l’énergumène au regard humain, qui semblais insulté d’être né dans un corps de chat 😋

Il faut dire que tu nous en as fait voir de toutes les couleurs à ton arrivée dans notre maison. Tu étais curieux, tu voulais explorer, être partout en même temps. Mais une chose était sûre, c’est que tu détestais être enfermé. Nous avons appliqué la méthode d’intégration graduelle de l’Éduchateur ça a fonctionné! Tu t’es rapidement intégré au clan. Pas gêné pour 2 cennes, tu n’avais peur de rien. Tu passais tes journées à courir et à sauter partout. Tu mangeais pour 10. Tu as déchiré mes rideaux. Griffé mon gris d’Afrique à travers les barreaux de sa cage. Tu pouvais faire des bonds de 6 pieds, marcher sur le dessus de mes cages à perroquet pour aller te prélasser sur ton trône sur la tablette la plus haute de la maison.Tu pouvais t’asseoir sur demande. Tu étais quasiment capable d’ouvrir les poignées de porte. Tu mangeais des céréales. Tu nous a tué une souris dans le sous-sol. Tu prenais la fontaine à eau pour une piscine en te garrochant dedans. Tu avais un sacré caractère! Et avec toi, on savait quand les bols étaient vides en haut! Combien de fois tu as déboulé les marches accompagné de mon panier à linge… Les jouets, tu ne t’amusais pas avec, tu les réduisais en miettes hihihi… Tu as réservé le même traitement aux emballages de nos cadeaux de Noël le mois passé. Tu ne faisais rien comme tout le monde. Le moins qu’on puisse dire, c’est que tu brassais de l’air! Mais la maison avait repris vie comme jamais! Méchant contraste avec nos “chats-patates”, pour reprendre l’expression de ma fille en parlant du reste des chats du clan, aussi tranquilles que des bibelots. Tu étais celui qui remettait tout en question et qui savait se faire entendre, toi l’hurluberlu qui nous faisais de l’attitude.

Parlant de ma fille, je ne peux passer sous silence la superbe connexion que tu avais avec elle. C’est elle que tu avais choisie, c’était TA maîtresse. Tu la suivais partout dans la maison en miaulant. Dans son lit, c’était Isa la british cannelle qui avait le monopole. Je ne sais pas comment vous avez négocié la chose, mais un beau matin, je vous ai retrouvés dormant en cuillère dans le lit de ma fille 😋 À partir de ce moment, toi et elle êtes devenus inséparables. Tu dormais carrément sur son ventre. Si elle devait se lever à 4 heures du matin pour aller aux toilettes, tu l’accompagnais et tu te recouchais près d’elle par la suite. Tu l’attendais patiemment près de la porte d’entrée quand elle arrivait de l’école. Toi, le chat de gouttière si différent des autres.

5 janvier 2019. Le jour où tout a basculé. Vers 14 h, ma fille, qui pense t’ouvrir bientôt une page Instagram tellement elle prend de photos de toi, me dit que tu as l’air déprimé. Toi, déprimé? IMPOSSIBLE. Je trouve ça louche. Je te mets en isolation dans sa chambre avec eau, bouffe et litière sous l’œil attentif de ta chère maîtresse. 5 minutes plus tard, on est fixés. Tu n’arrives plus à faire pipi dans ta litière. Un blocage urinaire, la hantise de tous les propriétaires de chats mâles castrés. Des vieilles images viennent hanter mon esprit. Je tremble, essaie de trouver un vétérinaire encore ouvert à cette heure. Ma fille est inquiète, je lui explique que oui, c’est sérieux, mais que nous allons te sauver et te ramener à la maison. Je prends une cage, saute dans un taxi. À 14 h 40, je passe les portes de l’hôpital vétérinaire où tu es vu immédiatement.
À partir de ce moment, je perds un peu la notion du temps. On te fait passer tous les tests nécessaires: prises de sang, tests FIV/FeLV radiographie, échographie. On me retourne dans la salle d’attente pendant qu’ils sont en train de te faire je ne sais quoi derrière la porte. Je crois entendre ton miaulement parmi les autres. Je sais que tu es perdu, que tu nous cherches, que tu demandes pourquoi tu es là et pourquoi on te fait tout ça. On m’appelle dans la salle d’examen pour me montrer les images de l’échographie. Tu fais effectivement un blocage urinaire, mais pas en raison d’un calcul. C’est un blocage de type inflammatoire, une condition complexe et surtout, chronique.. Un blocage qui peut être causé par tout et rien en même temps. On est en clinique d’urgence, les tarifs sont élevés et à chaque test, la facture augmente rapidement. On me fait un estimé de 2000$ pour tenter de te sauver, mais tout dépendra des résultats des prises de sang qui prendront environ 30 minutes à sortir. On me retourne dans la salle d’attente. Je me fais toutes sortes de scénarios. Non, je ne roule pas sur l’or, j’ai deux emplois pour m’assurer que tout le monde ait de la nourriture et des soins de qualité, un prêt à la banque mais quand même… si tu peux t’en sortir, je ferai le nécessaire. J’appelle Visa pour faire augmenter ma limite de crédit pendant que les minutes avancent sur l’horloge et que les clients se succèdent. Je suis sur le pilote automatique. Ma fille appelle entre-temps pour avoir des nouvelles car elle s’inquiète pour toi. Au bout d’un temps interminable, on me rappelle encore dans le bureau.

Les résultats ne sont pas beaux et le pronostic, réservé. Tu es en état d’insuffisance rénale aiguë et ton état s’est dégradé dans la dernière heure. Les chances de te sauver s’amenuisent alors que l’estimé s’alourdit. On me parle de plusieurs jours d’hospitalisation et des risques associés, car ça te prendrait une surveillance 24 h sauf qu’il n’y a pas de technicien la nuit. Si tu t’en sors, tu devras vivre le reste de ta vie isolé des autres, seul avec ta nourriture de vet spéciale urinaire, et sous haute surveillance, car on sait que ce blocage inflammatoire reviendra. On parle qu’après plusieurs blocages, on pourra éventuellement te transformer en femelle (non mais je rêve? Frankenstein??) mais que cette opération, encore une fois, est risquée, douloureuse et n’empêchera pas pour autant de nouveaux blocages. À seulement 22 mois, ton futur est déjà compromis. Réussiras-tu à passer à travers l’anesthésie compte tenu de l’état de tes reins? Quelles séquelles subiras-tu suite à cet épisode, si tu survis? Quelle qualité de vie aura-t-on à t’offrir pour le futur? Toi qui détestes vivre enfermé et qui veut être partout à la fois… Et, surtout, pourrons-nous réagir à temps au prochain blocage? C’est beaucoup de questions auxquelles je dois répondre rapidement. Je dois peser le pour et le contre, le coût de l’opération vs ta santé hypothéquée à un si jeune âge… La clinique ferme bientôt et je n’ai que quelques minutes pour prendre ma décision. Je retourne dans la salle d’attente pendant que mon petit univers s’effondre et que je prends tranquillement conscience de ce qui en train de se passer. Je suis dévastée. Je n’arrête plus de pleurer. Je pense à mon vieux Scotti de 13 ans qui n’a jamais été malade et qui pète la forme pour son âge. Mais pourquoi tant d’injustice? Pourquoi cela arrive-t-il à toi, le petit nouveau de même pas 2 ans qui vient juste d’arriver chez nous et que tout le monde adore?

On nous a installés juste nous deux dans un petit salon où j’ai pu prendre du temps avec toi avant ton dernier voyage. J’ai pris le temps de t’expliquer à l’oreille que ta situation était compliquée, que tu étais très malade, que le futur était incertain, que j’étais tellement désolée. Que je ne voulais pas que tu souffres. Mais tu me tournais le dos, je pense que tu me boudais. Ce n’était pas moi que tu voulais voir, mais Mahika ta maîtresse qui n’était pas là. J’ai eu le temps de te chanter des chansons à l’oreille, de te gratter la tête et le dos. Mais ta tête est lourdement retombée sur la serviette où tu te trouvais.Tu m’as fait comprendre que tu n’en pouvais plus. On t’a donné un sédatif. J’ai continué à te parler doucement en attendant que mon conjoint arrive à temps pour te dire au revoir. C’est vers 17 h 30 que tu t’es endormi tranquillement et sans douleur, entouré d’amour. Vous, animaux, avez ce privilège que nous n’avons pas encore de pouvoir mourir dans la dignité. Ce fut l’une des plus difficiles décisions à prendre et l’un des pires moments de ma vie. Le plus dur a été de renter à la maison avec une cage vide et de voir le visage de ta maîtresse quand elle a appris que tu ne reviendrais plus jamais. Moi qui lui avais promis qu’on allait te sauver, toi, son seul ami à qui elle pouvait tout confier.

Ça fait maintenant une semaine que tu es parti. J’ai 11 animaux à la maison, mais on dirait qu’il n’y a personne. J’ai pleuré sans arrêt pendant 4 jours. Puis, mardi soir, j’avais rendez-vous dans une autre clinique vétérinaire pour des soins de suivi avec une de mes chattes et j’ai parlé au vétérinaire de toi, de ce qui t’était arrivé samedi passé. Quand il m’a dit d’arrêter de culpabiliser et qu’il aurait fait la même chose dans cette situation, cela a mis un petit baume sur mon coeur. Nous aurions fini par te perdre après plusieurs interventions dans les 4 chiffres. Je sais maintenant que j’ai pris la meilleure décision pour toi car j’ai réagi à temps et que j’ai pu te faire endormir avant que tu sois dans de grandes souffrances. Je pleure encore et je n’ai pas fini de pleurer. La facture du vétérinaire n’est même pas importante à côté du grand trou que tu as fait dans nos coeurs. Tu étais notre meilleur chat. J’essaie d’être impartiale, mais il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Je sais que ça prendra du temps. Je sais aussi que je vis encore dans le déni car je te vois partout, dans chaque recoin de la maison. Ma fille se réveille encore la nuit persuadée que tu es là, à côté d’elle. Mais ce n’est qu’Isa, la british cannelle. Plus jamais une histoire comme celle-ci ne nous arrivera, c’est pourquoi j’avais envie de la partager.

J’attends une petite patte d’argile à ton nom, et tu auras une place de choix sur l’étagère de ta maîtresse adorée, ça c’est promis. J’en ai eu des chats dans ma vie, mais tu es celui que j’ai aimé le plus. Autant la façon dont tu es entré et sorti de notre univers nous marquera pour toujours. Les êtres sensibles ne se croisent jamais dans la vie sans raison. Ça a pris un certain temps pour que je comprenne pourquoi tu étais atterri chez nous. Ton bref passage dans notre vie nous a permis de comprendre que rien n’est jamais acquis, que la vie est fragile et précieuse, et qu’il faut arrêter de perdre notre temps en chicanes et déblatérages inutiles et de vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Prenons le temps de dire à nos proches que nous les aimons. Notre famille, nos amis, nos chiens, nos chats. Car on ne sait jamais s’ils seront encore là le lendemain. C’est la leçon que tu nous as transmis. Où que tu sois, n’oublie jamais qu’on t’a aimé. Toi, petite étoile filante partie aussi vite qu’arrivée.

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